11 décembre 2005

La littérature : des sensations pures.



J'ai trouvé dans EN VUE (mensuel des activités des bibliothèques de la ville de Paris) un article de Pierre Lepape, intitulé (selon une citation de Pierre Dumayet): "Lire ne sert à rien, lire sert à lire".

Selon l'auteur, il faut distinguer :
*La lecture en soi, "qui est sa propre récompense", qui est "l'acte même de la lecture, son irremplaçable gratuité", la lecture littéraire
*et la lecture de consommation, celle qui apporte un service, un supplément "de savoir, d'émotion, de rêve, de compréhension".
Pour l'auteur le second mode verra la victoire des nouvelles technologies, qui y sont plus efficaces. Alors que le livre restera consubstantiel du premier mode, là où "La lecture est ce qui livre les livres à nous-mêmes".


C'est intéressant. Mais je ne suis pas convaincu par cette vision de la lecture littéraire comme purement transcendante, comme sans aucun lien avec les autres préocupations basses et mondaines.

Ceci pour plusieurs raisons :
*Déjà, dénigrer systématiquement la vie pratique me paraît louche. Il y a du sacré dans le profane, il y a du profane dans le sacré.
*Il y a une implication littéraire (si faible soit-elle) dans tout texte : tout usage du langage est structuré par ce langage.
*Il n'y a pas d'objet pur. Ce serait si chouette, d'être des bibliothécaires à l'intériorité profonde et n'éprouvant que des sensations pures (comme les produits laitiers)! Mais on s'envole toujours à partir d'un sol : même en tant qu'amateurs de littérature nous restons ancrés dans le monde. Ceux qui le nient et y cherchent un absolu s'ancrent en professeurs d'analyse stylistique, en experts d'anecdotes biobibliographiques, ou en écrivains maudits pour qui le scandale radical est que le blog d'Assouline ait plus de succès que le leur. :D
* Il n'y a pas d'usage pur. Je n'ai pas à essayer d'éviter de m'informer et de me divertir quand je lis de la littérature. Certes celle-ci a une spécificité, qu'il faut défendre face à la simple novelisation du réel.

La spécificité de la littérature, c'est - par le biais d'un style et d'une intrigue - de diversifier notre relation sensible au monde. Cette idée est banale en ce qui concerne les peintres (dont l'esthétique "change notre regard"). Mais c'est une idée moins évidente pour la littérature, car elle n'y concerne pas seulement quelque chose de perceptif, mais aussi quelque chose qui a trait à l'interprétation et au sens. (Je pense que cette idée me viens des essais de Kundera. Idée via Kundera).

Une lecture plus littéraire sera celle où je découvre un style radicalement nouveau pour moi (où je suis contraint de changer ma perception et mon interprétation), une lecture plus divertissante sera celle où je retrouve simplement un style que je connaissais déjà. Ces lectures ne m'orientent pas vers un monde détaché, mais elles modifient et enrichissent ma vision du réel. C'est cette expérience, ni plus, ni moins, qu'on peut trouver dans les livres. Le livre est sans doute plus adapté à la littérature que les nouvelles technologies, non pas parce qu'il serait étranger au monde de l'utilité, mais parce que l'expérience "totale" de la littérature a besoin de l'incarnation dans l'espace et le temps.

Je me méfie des discours qu'on peut tenir sur la littérature : en répétant sur tous les tons "lire c'est bien, soyez-en convaincus" à la fin on a l'impression qu'on cherche simplement à convaincre les gens que la lecture est quelque chose à haute teneur gratifiante.
A force de dire que lire est grandiose, que lire est gratuit, que lire ne sert à rien, on pourrait nous prendre au mot.

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