27 novembre 2005

La bibliothèque espace physique, et après ?










C'est le titre d'un article publié par l'ADBDP qui présente quelques innovations de bibliothèques étrangères http://www.adbdp.asso.fr/association/publications/enligne/danset2005.htm
Cet article a par la suite a fait l'objet d'échanges sur biblio-fr, pas tant d'ailleurs sur l'aspect spécifique de la dématérialisation des bibliothèques, que sur la perte d'évidence en général du rôle des bibliothèques. Les intervenants sont tous en faveur du rôle social, mais en analysant différement : tantôt ce rôle ne serait assuré que par un retour aux vraies valeurs, tantôt il ne serait garanti que par des pratiques novatrices pour conquérir des classes qui n'y sont jamais venues. Bref, de quoi se châtier pour les bibliothécaires, mais aussi une façon de se promouvoir : quel rôle tragique et grandiose, ils pourraient tant, mais leur échec marque l'absence de diffusion de la culture ! Qu'ils choisissent le marketing ou l'assistanat social, les bibliothécaires sont condamnés à être des anges déchus : dans leur objectif sublime et dans les limites qu'ils rencontreront toujours.

Il y a un certain donquichottisme à monter ainsi l'assaut des Moulins à vent de la Lecture publique : sus aux obstacles, il y a de tout chez nous, tout le monde peut s'inscrire, c'est lire en fête, youpi ! 4 dvd 3 bd 1 julien gracq, laissez venir à moi les non-usagers car le royaume de la lecture leur appartient !
Avec des solutions opposées (l'une accentuant sur la fin et l'autre sur les moyens), c'est en fait le même aveuglement qui subsiste. Ni le coeur ni le marketing ne parviendrons à aller bien loin si on ne mesure pas que la bibliothèque ne peut pas imposer aux gens des usages dont ils ne perçoivent pas (faute d'éducation, de culture, d'informations, de moyens) un besoin évident.
S'agit-il d'un besoin inconnu de grande littérature (sûrement, mais bien enfoui alors, à éveiller), s'agit-il d'une soif de best-sellers (sûrement, mais engendrée par le marketing commercial faute de mieux), s'agit-il d'une soif de supports commerciaux (sûrement, mais la frustration de ne pouvoir les acheter est-elle compensée par leur prêt), s'agit-il d'un besoin d'internet à tout va (sûrement, mais pourquoi à la bibliothèque) ?
Est-ce que nous nous représentons clairement les besoins réels des différents usagers et non-usagers? Il faudra s'attacher à déterminer de quoi les gens ont et auront besoin dans le domaine du récit et le domaine documentaire, qu'ils ne trouveront pas, ou moins bien, ou plus difficilement, ailleurs que dans (ou via) une bibliothèque.

Comment se situer en tant qu'institution locale, centre de ressource à distance mais aussi lieu public, et qui ne pourra jamais être (matériellement et substantiellement) ni tout à fait la matrix ni tout a fait un supermarché ?

Présentation


Ce blog reprend la suite des messages postés ici dans Biblioforum (forum francophone d'échanges entre bibliothécaires).




Bibliothécaire, mes interrogations tournent autour de l'impact des bibliothèques sur le monde de l'information.
Je m'y intéresse en tant que phénomène culturel : il s'agit du monde de l'information des citoyens, ou "des gens", en tout cas l'information de quelqu'un et pas l'information dans l'abstrait. C'est ce qu'on appelle la "Lecture publique", notion qui désigne au sens restreint les actions publiques menées en faveur de la lecture, et au sens large le phénomène social de la lecture . Lecture qui peut aussi s'entendre dans le sens général d'appropriation d'informations, en y incluant radio, télévision et internet.

Quel est le rôle réel que jouent (ou pourraient jouer) les bibliothèques et la lecture dans l'espace public, la culture, la compréhension du monde ?
Face à nos discours de bibliothécaires, qui nous prennons parfois pour des missionnaires moraux dont dépendrait la vertu culturelle du monde, il y a un certain nombre de couleuvres à avaler. Les bibliothèques jouent un rôle de conservation, de diffusion et de médiation, elles sont un facteur parmi d'autres dans le monde de l'information. Elles n'ont jamais initié à elles seules de révolutions culturelles, mais elles ont pu, en tant qu'institutions, contribuer à certains moments clef de transmission (comme à Alexandrie, en lien avec les échanges économiques et culturels de cette période). Elles peuvent tout au plus s'adapter plus ou moins à différents phénomènes sociaux, économiques, technologiques, politiques. Puissent-elles le faire le mieux possible, en conformité avec ce qui n'est pas leur mission, mais leur raison d'être : être un instrument de diffusion du savoir.


Mes sources pour ce blog : je me sers d'éléments trouvés sur la presse et sur le web (yahoo, google, blogs, sites institutionnels) et je cite les pistes spécifiques le cas échéant. La forme du blog est bien sûr synonyme de non-élaboration et de réflexions qui sont simplement en cours, in progress (en progression, sinon en progrès).

La syndication de ce blog est http://bruitetchuchotements.blogspot.com/atom.xml
Elle est opérationnelle dans Bloglines par exemple.

Pourquoi s'attacher au livre ?

Pourquoi s'attacher au livre, s'y attarder?

image : http://fr.promotions.yahoo.com/10a/cv/rechercher_avant.html )
Pour quelles raisons notre société reste-t-elle encore attachée au support du livre? Sans doute parce que les nouveaux usages grand public promis par l'internet recouvrent bien tous les usages pratiques de la lecture (cf cette publicité pour yahoo), mais pas ceux liés à la lecture littéraire et la lecture réflexive.
On peut attendre des choses de l'automatisation et de l'hyperlien -dans la création littéraire ou la modélisation en sciences et sciences sociales. Mais pour l'usage au quotidien internet c'est surtout un lance-pierre partout disponible. Ces usages pourront certes évoluer, mais dans quel direction? Dans le sens du support, en raccourcissant les messages et en tronçonnant le sens?.

Ce qui fait le défaut et la lourdeur du livre est aussi ce qui lui donne poids dans notre existence : il est incarné. Il forme une unité (avec tout ce que cela comporte de figé). Il reste un objet (avec tout ce que cela comporte de pas pratique). Plutôt que d'être un signe du réseau, par le réseau, pour le réseau, le livre forme une singularité, un repère de sens auquel je peux m'arrêter (ou duquel je peux m'éloigner) plutôt qu'une bouillie fluctuelle (ce qui est parfois ce que je retire de ma lecture non méthodique d'internet je l'avoue).

Le romancier Kenzaburo Ôé proposait dès 1998 une approche mixte des supports d'écriture. Je l'avais lu à l'époque en version papier, maintenant concentrez-vous comme vous pouvez, faites-vous mal aux yeux, dépassez la tentation de cliquer, et lisez moi-ça si vous pouvez :) .



J’estime qu’il est utile, pour un bon développement des nouveaux médias,
d’établir entre eux et les anciens médias une sorte de feed-back loop (boucle de
rétroaction). Etablir un lien, même partiel, entre l’expression des êtres
humains sur Internet et ce vieux média qu’est le livre, reprendre sous la forme
d’un livre les échanges effectués par courrier électronique sur Internet, et
observer ce que cela donne.

Disons, pour simplifier les choses, que les mots de l’écriture littéraire, par un procédé que les formalistes russes appelaient ostraninie - rendre autre -, retardent la transmission du sens et rendent cette transmission plus longue. Ce procédé permet de redonner aux mots la résistance qu’ont les choses elles-mêmes au toucher. Evidemment, il n’est pas souhaitable que les mots sur Internet aient ce genre de fonction, retardant ou compliquant la transmission du sens et l’information. Or je dois confesser ici que ma vision du roman ou de la littérature en général se fonde sur cette théorie de l’ ostraninie, et que c’est à dessein que je complique la transmission du sens. C’est pourquoi beaucoup de jeunes intellectuels estiment probablement que je serai le premier des romanciers à être relégué aux oubliettes par la nouvelle génération Internet.

http://www.monde-diplomatique.fr/1998/12/OE/11473

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