27 novembre 2005

Pourquoi s'attacher au livre ?

Pourquoi s'attacher au livre, s'y attarder?

image : http://fr.promotions.yahoo.com/10a/cv/rechercher_avant.html )
Pour quelles raisons notre société reste-t-elle encore attachée au support du livre? Sans doute parce que les nouveaux usages grand public promis par l'internet recouvrent bien tous les usages pratiques de la lecture (cf cette publicité pour yahoo), mais pas ceux liés à la lecture littéraire et la lecture réflexive.
On peut attendre des choses de l'automatisation et de l'hyperlien -dans la création littéraire ou la modélisation en sciences et sciences sociales. Mais pour l'usage au quotidien internet c'est surtout un lance-pierre partout disponible. Ces usages pourront certes évoluer, mais dans quel direction? Dans le sens du support, en raccourcissant les messages et en tronçonnant le sens?.

Ce qui fait le défaut et la lourdeur du livre est aussi ce qui lui donne poids dans notre existence : il est incarné. Il forme une unité (avec tout ce que cela comporte de figé). Il reste un objet (avec tout ce que cela comporte de pas pratique). Plutôt que d'être un signe du réseau, par le réseau, pour le réseau, le livre forme une singularité, un repère de sens auquel je peux m'arrêter (ou duquel je peux m'éloigner) plutôt qu'une bouillie fluctuelle (ce qui est parfois ce que je retire de ma lecture non méthodique d'internet je l'avoue).

Le romancier Kenzaburo Ôé proposait dès 1998 une approche mixte des supports d'écriture. Je l'avais lu à l'époque en version papier, maintenant concentrez-vous comme vous pouvez, faites-vous mal aux yeux, dépassez la tentation de cliquer, et lisez moi-ça si vous pouvez :) .



J’estime qu’il est utile, pour un bon développement des nouveaux médias,
d’établir entre eux et les anciens médias une sorte de feed-back loop (boucle de
rétroaction). Etablir un lien, même partiel, entre l’expression des êtres
humains sur Internet et ce vieux média qu’est le livre, reprendre sous la forme
d’un livre les échanges effectués par courrier électronique sur Internet, et
observer ce que cela donne.

Disons, pour simplifier les choses, que les mots de l’écriture littéraire, par un procédé que les formalistes russes appelaient ostraninie - rendre autre -, retardent la transmission du sens et rendent cette transmission plus longue. Ce procédé permet de redonner aux mots la résistance qu’ont les choses elles-mêmes au toucher. Evidemment, il n’est pas souhaitable que les mots sur Internet aient ce genre de fonction, retardant ou compliquant la transmission du sens et l’information. Or je dois confesser ici que ma vision du roman ou de la littérature en général se fonde sur cette théorie de l’ ostraninie, et que c’est à dessein que je complique la transmission du sens. C’est pourquoi beaucoup de jeunes intellectuels estiment probablement que je serai le premier des romanciers à être relégué aux oubliettes par la nouvelle génération Internet.

http://www.monde-diplomatique.fr/1998/12/OE/11473

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