The shallows/ Nicholas Carr
"Comment internet change notre façon de penser, de lire et de nous souvenir."
La traduction qui paraîtra en octobre s'intitule "Internet rend-il bête?" mais le titre original est plus subtil : "Les basses eaux" ou "En surface". La traduction allemande s'intitule "Qui suis-je quand je suis online ?"
Pour l'auteur, Internet est inévitablement le lieu futur des idées, mais il entraîne des problèmes d'attention et l'incapacité à s'immerger profondément dans des idées et des récits.
- La lecture silencieuse rapide a permis le développement d'une capacité originale de concentration et d'interprétation. Avant (lorsque la lecture était orale, lente) trouver la vérité restait encore une simple vérification de l'adéquation entre en propos et les symboles religieux et naturels déjà connus. Le fait de pouvoir passer moins de temps à décoder ou vocaliser le texte a permis de passer plus de temps immergé dans les idées et les descriptions, de suivre une argumentation ou une histoire en les analysant plus finement, d'être sensible à des variations de langage plus subtiles. Citant Eisenstein : "La virtuosité remarquable des nouveaux artistes littéraires pour contrefaire les sens à travers de simples mots exigeait une conscience plus aigue et une observation plus proche de l'expérience sensorielle, capacités transférées à leur tour au lecteur."
-Internet est un écosystème de technologies d'interruption : hyperliens, alertes, multimedia. Mais est aussi un média universel et bidirectionnel. Avec 8h /j devant écrans, une grande quantité de texte est lu, mais par petits bouts.
- La lecture sur internet : est fragmentée et fragmentante. Surfer le net : est une suite continuelle de micro-décisions, jugements, qui gènent la concentration et la mémorisation. On passe son temps dans de l'"extraneous problem-solving" : à résoudre des problèmes extérieurs au propos (comme si on lisait un livre tout en résolvant des mots-croisés à côté). Hypertexte/hypermédia/alertes : ces outils étaient destinés à résoudre le problème de l'overdose d'informations, mais l'on finalement exacerbé. Le contenu proposé en ligne n'est pas fait pour être maîtrisé (cela demanderait une mémoire immédiate trop élevée) mais pour être simplement parcouru. De plus ce qui est traversé est trop désordonné pour être assimilé par la mémoire à long terme.
La lecture est effectuée "en diagonale", ou plutôt en forme de F. On passe en moyenne 20 à 25 seconde par page, dans le but d'identifier quelques mots-clefs ou phrases saillantes.
Cela fait qu'Internet développe bien certaines formes d'intelligence : visuo-spatiale et tri de données multiples. Mais diminue la mémorisation, la concentration et l'analyse.
-Google : outil très efficace, au point de devenir notre outil mental unique, la façon dont nous nous représentons l'accès idéal au savoir. Google à intérêt à ce que l'information circule de la manière la plus fluide et gratuite possible (pour mettre le plus d'Adwords dessus). Conséquence : il découpe le savoir jusqu'à son unité minimale (Googlebooks est concrètement utilisé comme une bibliothèque de paragraphes, et non pas comme une bibliothèque de livres).
- Conséquences sur la vision de la littérature et des textes. Sur les médias internet "social concerns overrides litterary ones" (les préocuppations sociales dépassent les préocuppations littéraires). La lecture n'est qu'un moyen de conversation, où le contenu doit avoir un style facile et où l'on peut reconnaître immédiatement des images communes à tous. Citant un article de l'Annual Review of Sociology : "Era of mass book reading was a brief anomaly in our intellectual history". Et citant Clay Shirky "La littérature ne vaut pas le temps qu'elle prend à être lue" (comme si elle n'était qu'un moyen, ennuyeux, de parvenir à autre chose).
- La forme d'un média change notre vision du monde, de manière globale et durable. Les médias ne sont pas des outils neutres (bons ou mauvais selon usage). Ce sont des outils cognitifs, des technologies intellectulles, qui comme les cartes, les horloges, ou l'écriture, modifient notre rapport au monde. Ces changements sont durables et extensifs, en raison de la plasticité des neurotransmetteurs. Le cerveau peut très rapidement programmmer des habitudes, bonnes ou mauvaises. Le cerveau demande rapidement à être nourri de la manière dont le net le nourrit. Internet introduit de la discontinuité dans tous les autres médias et expériences.
- Fausse idée que notre cerveau "stockerait" des "informations", et que donc internet pourrait nous libérer de ce travail de mémorisation. La mémoire est active : elle consiste dans l'acte de constituer et reconstituer des souvenirs, dans des synthèses toujours différentes. Ne pas faire travailler la mémoire affaiblit la globalité de l'esprit. Pour rester en vie, la culture ne doit pas simplement être de l'information stockée, elle doit être renouvelée dans l'esprit des nouvelles générations. Notre intelligence s'aplatit en une Intelligence Artificielle : nerveuse, rapide, de mémoire à court terme, établissement de simple liens. Les logiciels peuvent certes nous libérer de tâches aliénantes... jusqu'au moment où ils font le travail même de l'esprit à notre place, et nous empêchent ainsi d'acquérir des compétences.
- "Nous évoluons à de cultivateurs de notre savoir personnel à chasseurs et cueilleurs dans la forêt électronique des données". Le net est une bibliothèque où l'on peut retrouver de l'information, et non pas une bibliothèque qui aiderait à se construire soi-même en constituant son savoir personnel. Il réduit notre capacité à pouvoir choisir ce à quoi on prête attention et comment on choisit de l'interpréter. "Notre problème aujourd'hui est que nous perdons notre capacité à équilibrer ces deux états d'esprit : la pensée méditative et la découverte rapide."
08 septembre 2011
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